Foyers domestiques, genre et énergies : enjeux et perspectives

Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne
charles-francois.mathis[at]univ-paris1.fr

CNRS, UMR Sirice

Sorbonne Université, UMR Sirice
jpwilliot[at]wanadoo.fr

Résumé

En croisant deux historiographies qui, à quelques exceptions près, s’étaient un peu ignorées – celles de l’histoire du genre et de l’histoire de l’énergie -, cet article introductif au numéro spécial « Foyers. Genre et énergies dans l’espace domestiques, 19e- 21e siècles » souligne la fertilité de cette rencontre. Le foyer domestique est en effet un lieu central des pratiques et choix énergétiques, où se croisent stratégies marketing des entreprises pourvoyeuses, politiques publiques et décisions familiales, qui toutes mettent en jeu des rapports de genre. Différentes pistes d’analyses sont ainsi proposées, ouvrant autant de perspectives de recherches, notamment autour des enjeux de la transition énergétique.

Article
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Croiser genre et énergie : une problématique à renouveler

L’observation et l’analyse des enjeux qui se nouent dans l’utilisation des énergies au sein des espaces domestiques ouvrent des perspectives très larges pour comprendre comment s’organisent les choix de consommation. Ils dépendent de multiples facteurs. L’offre de telle ou telle énergie et la combinaison de plusieurs d’entre elles pour répondre à des usages différents déterminent leur place. Les prix de vente ou les tarifications sont donc essentiels. Les équipements dans la maison et plus largement les infrastructures énergétiques peuvent faciliter ou au contraire empêcher les consommations. Les possibilités techniques sont donc tout aussi importantes pour expliquer l’avènement de certains usages domestiques ou leur abandon. Mais dans tous les cas, les membres du foyer interviennent à chaque étape d’une chaîne de décisions qui aboutissent aux usages énergétiques. Choisir les appareils, privilégier tel mode d’éclairage ou tel type de chauffage, accomplir tous les gestes du quotidien qui accompagnent l’utilisation des équipements, agir sur les dépenses de consommation, déterminer les formes de confort souhaitées, inscrire ses propres pratiques dans des comportements sociétaux énergivores ou au contraire très économes sont autant d’arbitrages rendus dans les foyers domestiques. Ils ne sont jamais dissociés des relations établies à l’extérieur du foyer, par la publicité qui oriente les consommateurs, par la stratégie commerciale des fournisseurs d’énergie, par l’achat d’appareils, par la livraison de l’énergie. Tous ces aspects qui s’inscrivent dans l’histoire des énergies selon des séquences chronologiques diverses participent d’une immense historiographie des choix énergétiques. Elle est dédiée à l’histoire des entreprises, à l’économie des consommations, à la sociologie des usages. Susciter réflexions et travaux dans cette direction ne présenterait pas une originalité caractérisée même si très souvent l’histoire des énergies s’est écrite sur celle des sociétés productrices et distributrices ou sur les mécanismes géopolitiques du commerce des énergies.

Notre objectif suit un autre cheminement. Centrer le regard sur le foyer et comprendre comment s’y jouent les consommations d’énergies invite à mobiliser les interrogations d’une histoire de la consommation et encore plus celles relevant de l’histoire du genre. Quels rôles tenus par qui ? Quel pouvoir de décision pris par chaque membre dans le choix des énergies ? Quelles fonctions dévolues aux femmes et aux hommes dans les pratiques domestiques dès lors que l’on s’intéresse à l’éclairage des pièces, au chauffage des lieux de vie, aux modes de cuisine, aux besoins d’eau chaude, à la régulation d’une climatisation ou à l’entretien des braises d’une cheminée ?  En proposant de tenir un colloque qui assemble des spécialistes de l’histoire des énergies et celles et ceux des études de genre, nous souhaitions susciter des questionnements reliant des champs d’études qui ne se sont pas croisés si fréquemment. Bien sûr, des travaux ont déjà soulevé ces problématiques. L’ouvrage de Ruth Schwartz-Cowan, More Work for Mother: The Ironies of Household Technology from the Open Hearth to the Microwave1, fut l’un des premiers à en souligner l’importance, énonçant dès le titre quelle question il fallait poser sur l’usage des énergies domestiques. Puis d’autres études sont venues. Les unes ont plus précisément centré le regard sur une technologie ou une énergie